Que fait-on quand on « donne sa voix » ?

Modifié par P_mat

Comment le citoyen participe-t-il activement à la vie politique ? En votant. Mais que signifie voter ? Est-ce déléguer son pouvoir ? se choisir un chef ? parler et exprimer son opinion ?

En réalité, donner sa voix n'est pas parler, c'est proprement faire activement quelque chose. D'ailleurs les Grecs anciens votaient avec leurs mains, en les levant ; les Latins avec leurs pieds, pour ainsi dire, en allant quelque part – in suffragium invenire, disait-on : « aller voter ». Voter suppose donc d'avoir un corps humain animé, sensible, capable de mouvoir et d'émouvoir, par lequel nous pouvons entrer en contact et en rapport les uns avec les autres, nous affecter mutuellement, agir et être agis ensemble.

Dans l'Essai sur l'origine des langues – voir aussi l'article « Voix » du Dictionnaire de musique –, Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) explique que nous disposons de deux moyens d'agir sur les sens d'autrui : le toucher et la voix. Dès lors qu'ils ont une voix, les hommes peuvent concerter, composer et mélanger leurs voix, agir, vivre et travailler ensemble, avoir une vie politique, c'est-à-dire s'accorder sur ce qui est bon, juste, ainsi que sur les moyens de le faire advenir.

Comment comprendre le corps politique comme « incorporation de voix » et qu'est-ce que cela nous apprend sur le vote comme un geste qui fait – non pas de la politique, mais la politique ?

Il y a politique lorsqu'en donnant notre voix, nous faisons commun, en nous libérant des querelles d'intérêts particuliers, de l'emprise de nos passions (peur ou espoir notamment) pour considérer, chacun, en notre for intérieur, ce qu'il en est du bien commun, de l'intérêt général.

Dès lors, la voix du plus grand nombre engage également ceux qui ont voté autrement. Comment est-ce possible ? Comment puis-je être engagé par une voix que je n'ai pas donnée, si j'ai, par exemple, refusé ma voix à tel candidat, à telle motion, à tel budget, tandis que le plus grand nombre a accordé la sienne ? Serait-ce que je me suis trompé ? En obéissant, alors, je corrige mon erreur, ce qui n'est pas perdre sa liberté, mais l'assumer pleinement.

Questions

  • L'approche rousseauiste du vote comme faire commun vous semble-t-elle entrer en contradiction avec les droits que reconnaissent nos démocraties à l'opposition ?
  • Que fait-on réellement quand on « donne sa voix » ?
  • En quel sens parle-t-on de corps politique ?

 Pour approfondir

  • Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, livre I, chapitre 6
  • Bruno Bernardi offre un commentaire éclairant et stimulant de ce texte : « Un corps composé de voix » in Cahiers philosophiques, avril 2007, éd CNDP, pp. 29-40

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